Les Villeneuves : déconcertante concertation

L'avertY
9 min readOct 28, 2020

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Le processus de concertation se poursuit pour le projet de rénovation urbaine des Villeneuves de Grenoble et Échirolles qui devrait durer jusqu’en 2028. La Métro a ainsi invité les habitants à se prononcer sur l’aménagement du Parc Jean-Verlhac jusqu’au 26 octobre. Hasard du calendrier, la même semaine était célébré le premier anniversaire du Référendum d’initiative citoyenne (RIC) de l’Arlequin, qui avait vu une large victoire du “non” aux démolitions. Un résultat que continue à porter le collectif qui avait œuvré pour le mettre en place. Et qui entend dénoncer le passage en force de la mairie et de la Métro.

Rencontre au Patio entre la ville de Grenoble et des habitants du quartier*. © Ludovic Chataing

« Les commerces en orange, l’habitat en violet et en vert les espaces publics. » Avec la maquette du projet comme support, Séverine François fait le point sur les avancées du futur éco-quartier des Villeneuves. Le 15 octobre dernier, la cheffe de projet renouvellement urbain de la municipalité de Grenoble a donné rendez-vous à une petite dizaine d’habitants de l’union de quartier au Patio, espace de vie central situé 97 galerie de l’Arlequin.

Durant près de deux heures, en reprenant de temps en temps son souffle en décollant le masque de son menton, elle détaille la série de chantiers de ce projet gigantesque à plusieurs centaines de millions d’euros sur les trois secteurs constituant l’ensemble de la Villeneuve grenobloise : Arlequin, Géants et Village olympique. En face, les habitants réagissent, souvent positivement d’un « c’est pas mal, ça », ou font remonter certains soucis sur les aménagements déjà en place : « Le goudron noir au pied des immeubles, c’est pas terrible avec la chaleur qu’il y a déjà l’été dans cette crique. »

La maquette du quartier des Villeneuves indique les principaux travaux. © Florian Espalieu

Il est ainsi principalement question de rénovation : « en moucheté violet, ce sont les copropriétés privées, éligibles à l’opération Mur|Mur », programme d’aide à l’isolation thermique mis en place par la Métropole. « Pour nous, il y a eu une prise en charge de 40 %», abonde un propriétaire dont le bâtiment a pu en bénéficier.

Le processus de concertation a ainsi pu donner lieu à de véritables réussites, comme celle sur le collège Lucie Aubrac fin 2017 : « un questionnaire a d’abord été élaboré par le département avec les parents d’élèves avant d’être ensuite envoyé à tous les habitants du quartier », rappelle Benjamin Bultel, journaliste au Crieur de la Villeneuve, qui a suivi de près le dossier. Résultat : près de 2500 réponses.

Actuellement, c’est un autre questionnaire, plus simple, qui sert de base à une nouvelle consultation. Celle-ci porte sur l’aménagement du parc Jean-Verlhac, l’un des plus grands de la ville : « Une étude est en cours pour savoir s’il serait possible de rendre la baignade réglementaire dans le lac », indique Séverine François. La concertation lancée en juillet a été prolongée. « Cela devait s’achever le 10 octobre », précise Aurelia Haller, chargée de la participation projet de rénovation urbaine pour la Métropole. « Mais tout ce qui s’est passé cet été n’a apparemment pas été visible pour les habitants. Et quand nous sommes revenus vers eux en septembre, il ne restait que six semaines. On a donc prolongé jusqu’au 26. » À l’issue de cette phase, un concours national devrait être lancé, « avec l’idée d’ouvrir le parc vers l’extérieur. »

« Un projet absurde » pour ses opposants

L’ouverture du parc implique la démolition de bâtiments : celui du Centre communal d’action sociale (CCAS) devrait donc disparaître et ses bureaux être déplacés en face de la MC2 dans les anciens locaux du Crédit agricole, rue Claudel. Sont également voués à la démolition le foyer Adoma et les logements du 20 galerie de l’Arlequin. « Une entrée nord au caractère emblématique », pour Élisa Martin, première adjointe au maire de Grenoble, déléguée aux quartiers populaires et à l’égalité républicaine, et « cheffe d’orchestre » du projet au niveau de la municipalité, pour qui « une remise en cause de ces quelques démolitions n’est pas envisageable ».

Dessin réalisé par Simon Derbier : son travail est à découvrir ici.

Quitte à froisser une partie des locataires des logements sociaux qui contestent cet aspect du projet. Avec pour argument principal le résultat au Référendum d’initiative citoyenne (RIC) sur les démolitions. Celui-ci avait été organisé il y a presque un an jour pour jour, du 14 au 20 octobre, « dans la lignée des revendications du mouvement des gilets jaunes », et avec le soutien d’un collectif. Et un verdict sans appel au moment du dépouillement : 365 personnes soit près de 70 % des 526 votants s’étaient prononcés contre. Un chiffre loin d’être anodin comparé aux 718 électeurs ayant voté pour la liste Grenoble en commun d’Éric Piolle au second tour des municipales des six bureaux de la Villeneuve.

« La Ville va-t-elle oser passer en force ? », s’interroge David Bodinier, membre du collectif du RIC et de l’Atelier populaire d’urbanisme de la Villeneuve. « Nous avons quand même fait deux pétitions de 2000 signatures, suivies par un débat au conseil municipal, puis un RIC… D’autant que ce projet est absurde. La Villeneuve telle qu’elle avait été conçue présente de vraies qualités, et quelques défauts qui peuvent être corrigés sans démolir. Les déplacements font partie de ses points forts, car tout est accessible à pied. Et aujourd’hui, ce projet démantèle l’Arlequin, ce qui entraînerait un espace incohérent, sans passerelle, avec un dédale d’escaliers. »

David Bodinier reste impliqué dans ce projet de rénovation des Villeneuves. © Florian Espalieu

Il défend également la légitimité du RIC par sa démarche : « Tout a été organisé dans des conditions rigoureuses, sous la supervision de journalistes, d’universitaires et d’élus d’opposition. Aujourd’hui, notre initiative est même nommée parmi les finalistes d’un concours international, ce qui prouve sa valeur, bien au-delà de l’échelle locale. »

Un exercice qui permettrait même, selon lui, de renouveler l’intérêt des citoyens. « La démocratie participative est déjà une évolution par rapport à la démocratie représentative. Mais là, on aurait tout pour aller au-delà avec une démocratie d’interpellation. Et au final, on se retrouve avec une concertation tout ce qu’il y a de plus classique. »

La parole diluée des habitants

Mais l’écueil semble être plus structurel qu’une simple divergence de points de vue sur l’urbanisme. Car la concertation a bien eu lieu, notamment au printemps 2015, avec la semaine de la co-construction. Celle-ci a réuni habitants, élus et l’Atelier populaire d’urbanisme de la Villeneuve. Cette collaboration a abouti au dépôt d’un premier dossier auprès de l’Agence nationale de rénovation urbaine (ANRU) en juin 2016. « Il n’était alors prévu que de la rénovation, pas de démolition, conformément aux vœux des habitants », assure David Bodinier.

Sauf que le projet ne convient pas à l’ANRU qui juge le quartier trop dense. Gilles Kuntz, ancien élu municipal (2001–2014) proche de la majorité actuelle et habitant de la Villeneuve connaît bien le problème : « C’est toujours le même chantage qui est fait. Le discours, c’est : “Vous aurez des sous si vous démolissez suffisamment. Revoyez votre copie !” »

Et David Bodinier d’enchérir : « Le souci, c’est que devant l’ANRU, les habitants ne sont plus là. » Un second dossier planifiant un certain nombre de démolitions est alors déposé en décembre 2016. « Éric Piolle aurait dû revenir vers les habitants, mais il ne l’a pas fait », s’insurge le militant du collectif du RIC Arlequin. « Il fallait faire comme l’ancien maire Hubert Dubedout, arrivé en 1965, alors qu’un projet était déjà dans les tuyaux. Il est monté à Paris pour taper du poing sur la table : “L’urbanisme ne se décide pas à Paris ! Il se décide à Grenoble!” Et il a tout remis à plat. »

Gilles Kuntz rappelle toutefois que la Villeneuve a été construite au début des années 1970 soit à la fin des Trente glorieuses (1946–1975), à une époque où l’économie était florissante. « Aujourd’hui, le rapport de force avec l’ANRU n’est pas du tout le même. Ils apportent un tiers des financements et sans eux, le projet ne peut pas se faire. »

Sans surprise, Élisa Martin n’est pas non plus tout à fait du même avis. Certes, l’élue reconnaît volontiers « une certaine vision parisienne » lors des premières discussions avec l’ANRU en 2014, lors de l’arrivée de la municipalité Piolle pour son premier mandat : « Ils voulaient découper la galerie de l’Arlequin en morceaux, en démolissant massivement. » Mais elle soutient que cela a évolué dans le bon sens depuis : « Nous sommes arrivés à plus de complexité en réduisant de manière considérable le nombre de destructions. Le point de vue des habitants a d’ailleurs été un levier important de négociation. »

D’autre part, elle assure que « l’équipe municipale a toujours été réticente à la démolition comme seule réponse aux problèmes ». Elle assume pour autant celles prévues sur l’entrée nord : « Il faut regarder la globalité et la réalité de ce qui est détruit : cela se limite vraiment au minimum. » Et de rappeler le résultat des récentes élections : « Nous avons la légitimité du suffrage universel. »

Pourtant, l’ancien élu Gilles Kuntz admet que le processus de concertation pêche parfois par certains aspects. « Il existe toujours des couches intermédiaires entre les habitants et ceux qui dessinent les projets. » La conclusion de David Bodinier est plus tranchée : « Quand les habitants ne participent pas, on dit qu’ils sont absents. Et quand ils donnent leur avis, on ne retient pas leurs initiatives. C’est tout le paradoxe de notre démocratie. »

“La nécessité d’une approche grand public” à la Villeneuve d’Échirolles

Pour Nizar Baraket, cadre de la ville d’Échirolles, la question de la concertation ne repose pas tout à fait sur les mêmes bases qu’à Grenoble, en raison d’une population qui se renouvelle beaucoup plus vite.

« Nous nous trouvons dans un des secteurs les plus pauvres de la Métropole. La mixité sociale est ici plus grande à Grenoble, tout comme la diversité associative. Si l’on compare le nombre de structures d’économie sociale et solidaire, il est de un sur trois en faveur de nos voisins.

Ainsi, les personnes d’ici se projettent moins dans l’avenir d’un quartier qu’ils envisagent souvent de quitter dans un futur assez proche. Du fait de ce grand renouvellement de la population, nous devons avoir une approche très grand public et aller chercher les participants. Par exemple, nous prévoyons d’organiser des forums deux fois par an sur tous les sujets qui traitent de l’urbain. Bien sûr, étant donné le contexte sanitaire, nous allons sans doute devoir nous adapter.

Par ailleurs, nous avons aussi des conseils citoyens qui ont été assez actifs. Et des scenarii sont pré-étudiés par des cabinets d’études, qui partent avec un carnet de recommandations issus des discussions avec les habitants. »

Reportage de Florian Espalieu
Infographies Rémy Graptin
Dessin de presse Simon Derbier

*La première photo a été modifiée en raison de droits à l’image.

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