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À partir du 15 décembre 2021, la vaccination a été recommandée pour les enfants de 5 à 11 ans à risque de développer une forme grave de Covid-19 et pour ceux qui vivent dans l’entourage d’une personne immunodéprimée ou porteuse de maladie grave. Une semaine plus tard, elle s’est finalement ouverte à tous les autres enfants du même âge. Depuis le début de la crise sanitaire, ces derniers ont vécu un confinement, puis deux, puis trois. Le port du masque est devenu obligatoire le 3 janvier 2022 pour les enfants de 6 ans et plus dans les transports et les lieux recevant du public. Comment les enfants de l’agglomération grenobloise encaissent-ils ces changements ? Comment vivent-ils cette longue période marquée par le Covid ?
Le 17 mars 2020, la France était confinée pour la première fois. Pour les enfants, cela signifiait école à la maison.
“J’avais plus de devoirs que d’habitude et c’était dur de se motiver pour travailler.” raconte Emma, 9 ans et demi, en CE2 lors du premier confinement. Sa maman confirme : “C’était ardu de s’improviser maîtresse. Surtout qu’au début, on nous donnait des devoirs à faire au jour le jour. Puis après heureusement, on nous les envoyait à l’avance et on pouvait s’organiser sur la semaine.”
Du côté des enseignants, ce n’était pas évident non plus. Émilie, professeure des écoles en Matheysine devait jongler entre préparation des cours de CM1 et CM2 et ses trois enfants. “Je travaillais le matin et le soir, et je consacrais la journée à mes enfants. J’ai mis du temps à trouver le bon rythme. Au départ, je communiquais un plan de travail aux parents pour la semaine. Les élèves faisaient surtout des maths, du français et je leur envoyais des vidéos pour les sciences. Sauf que je recevais les corrections au fur et à mesure et c’était impossible à gérer. J’ai donc rapidement préparé les corrigés en amont pour les transmettre chaque soir.”
Lors du bilan du premier confinement, Émilie a constaté que, sur la classe de 24 élèves, trois n’avaient pas donné de nouvelles : “J’avais pris le temps d’appeler chaque parent pour faire un point avant la reprise. Ces trois élèves ne sont revenus que mi-juin, complètement perdus, alors qu’ils étaient en CM2”, regrette-t-elle.
Selon Olivia Cahn, psychologue clinicienne libérale auprès d’enfants, adolescents et adultes à Grenoble, chaque enfant a réagi différemment au premier confinement. “Pour certains, cela a été l’occasion de resserrer les liens familiaux, d’avoir des parents plus présents à la maison. Cela a également été bénéfique aux enfants qui subissaient du harcèlement ou qui avaient des difficultés à l’école. Cette période leur a fait du bien. Mais pour d’autres, cela a pu être laborieux car ils absorbaient le stress de leurs parents qui devaient gérer le télétravail et les devoirs à la maison.”
Corinne Louin, psychologue dans un centre médico-psychologique (CMP) à Albertville a une analyse différente, puisqu’elle suit davantage d’enfants placés ou qui sont issus de milieux sociaux précarisés.
« Je m’occupe notamment des petits de 0 à 6 ans. Le confinement a eu des effets positifs sur ceux qui avaient des troubles de l’attachement. Il leur a permis de se sentir en sécurité et ils sont donc revenus apaisés. En revanche, nous avons observé une augmentation des violences intra-familiales. Nous sommes passés de deux demandes par mois à une par semaine. Il s’agissait surtout de violences conjugales, mais qui ont forcément eu des répercussions sur les enfants. » — Corinne Louin, psychologue.
Selon les chiffres du ministère de l’intérieur, annoncés le 22 novembre 2021🔗, les violences conjugales ont augmenté de 10 % lors du premier confinement (en mars 2020) par rapport à la même période en 2019.
Carine, professeure des écoles à La Mure qui a mal vécu le premier confinement, raconte : “Dans mon école, j’ai des petits de 3 et 4 ans. Tout le long, j’avais peur que cette phase de confinement crée une différence de niveau entre eux car certains viennent de milieux défavorisés. Je savais que je ne réussirais pas à toucher ceux dont les besoins sont les plus grands. C’était très perturbant pour moi. Et cela a été le cas. Pour les enfants qui avaient bien travaillé, le confinement n’a rien changé. Certains sont même revenus avec un niveau supérieur à mes attentes. Mais pour les autres, cela a creusé des écarts.”
“On leur apprenait à avoir peur les uns des autres”
Les écoles maternelles et primaires ont rouvert progressivement à partir du 11 mai, sur la base du volontariat au départ. Dans son école, Carine organisait une rotation d’élèves, par groupe de cinq, avec une priorité pour les enfants du personnel soignant. “Quand on a repris, c’était très anxiogène. Il fallait sans arrêt tout désinfecter. Tout le monde avait peur, le personnel était stressé. Les enfants étaient seuls à leur table, ils n’avaient pas le droit de se déplacer dans la classe. C’était horrible cette période car ma mission en maternelle, c’est de leur apprendre à vivre ensemble et qu’ils soient heureux de venir à l’école. Et là on leur apprenait à avoir peur les uns des autres. Pour moi, c’était en train de détruire l’essence même de ma mission. J’avais peur qu’on soit en train de les abîmer.”
L’école est redevenue obligatoire à partir du 22 juin 2020. Vanessa, animatrice périscolaire dans plusieurs écoles du centre ville de Grenoble, se souvient : “À la reprise, ils n’avaient pas le droit de se mélanger. On devait délimiter des carrés dans la cour de récréation. ils ne pouvaient pas jouer avec tous leurs copains, copines. Ils étaient déboussolés. Quand l’un d’entre eux éternuait, ils étaient tous stressés, ils avaient peur d’attraper le Covid. Ils ne savaient pas au tout début que ce n’était pas une maladie grave pour eux.”
Olivia Cahn, psychologue à Grenoble, analyse : “Les enfants ont été soumis à beaucoup de règles et de changements de protocoles sanitaires. J’ai trouvé notamment que les périmètres installés dans les cours de récréation ont eu des effets négatifs. Certains ont été séparés de leurs ami·es. D’autres se sont retrouvés dans le même périmètre qu’un enfant harceleur par exemple. Et en ce moment, les enfants vivent à nouveau une période pénible, ils doivent tout le temps se faire tester et certains saturent.”
Record de classes fermées en janvier 2022
Le vendredi 28 janvier, près de 21 049 classes sur 527 200 étaient fermées dans les écoles, collèges et lycées, soit 3,99% du nombre total de classes selon les chiffres du ministère de l’Éducation nationale.
À la sortie de l’école Marianne Cohn dans le quartier Hoche à Grenoble, mercredi 19 janvier, les parents masqués patientent, bien éloignés les uns des autres. Marina, une écharpe autour du cou, attend sa fille de 8 ans et demi. “En ce moment, une classe entière est fermée dans l’école.” 11h45 sonne, les enfants sortent à leur tour. Des masques bleus, blancs, roses ou noirs sur les visages.
“En ce moment, si un enfant est positif dans la classe, les autres doivent se faire tester le jour-même, puis à J+2 et J+4 pour les moins de 12 ans. Les enseignants positifs sont très rarement remplacés. Et les enfants devant s’isoler n’ont pas de suivi puisque la maîtresse ou le maître poursuit ses cours en classe. C’est un ras-le-bol général”, s’indigne Nada, parent d’élève et membre de la Fédération des Parents d’Élèves de l’Enseignement Public (PEEP).
Émilie, professeure des écoles et mère de trois enfants, partage le même point de vue. “C’est le bazar en ce moment. Une de mes filles est positive et pas vaccinée. Du coup elle est en isolement. Ma plus grande a déjà fait plus d’une dizaine de PCR car elle allait à la natation tous les mardis et devait se tester chaque fois. Ma petite de 7 ans et demi en a déjà fait quatre ou cinq. Et vu que ma collégienne est positive, je vais toutes devoir les retester, en décalé. On est tous en surcharge mentale à cause des tests. Maintenant on doit aussi s’occuper des attestations sur l’honneur pour les autotests. On est tous à bout.”
Les enfants de moins de 12 ans cas contacts doivent présenter à leur établissement scolaire une attestation sur l’honneur des parents ou des représentants légaux à l’issue du premier test négatif. Depuis le 11 janvier 2022, il n’est plus nécessaire de fournir deux attestations à J+2 et J+4, mais une seule à J+0. L’Assurance-maladie prend en charge trois autotests lorsqu’un enfant est cas contact dans le milieu scolaire. Ils peuvent être délivrés sans reste à charge uniquement en pharmacie sur présentation d’une attestation de l’école.
Selon Vanessa, animatrice périscolaire, la situation est à nouveau tendue : “Je les sens stressés depuis la reprise de janvier. Dès qu’on leur parle de cas contact, ils paniquent. Le protocole change d’une semaine à l’autre. Il y a aussi une pénurie de gel et de masques. Je dois amener mes propres masques pour travailler. ”
Dans l’école d’Emma, à Uriage, il y a également des cas contacts tous les jours. “Elle a eu le Covid le 15 décembre, c’est une copine à l’école qui lui a transmis. Heureusement elle n’a pas eu de symptômes, juste de la fatigue et le nez qui coule. Du coup elle n’a pas à faire de tests pendant deux mois. Mais depuis le début du Covid, elle en a dû en faire six”, relate sa mère.
En maternelle, les règles sont légèrement différentes, comme l’explique Carine, professeure des écoles : “Nous sommes un peu épargnés car les petits ne portent pas de masque. Pareil pour la distanciation sociale, ce n’est pas possible à leur âge. Donc on vit à peu près normalement par rapport aux écoles primaires. Le personnel porte le masque tout le temps en revanche. Il m’arrive de le baisser par moment lorsque je suis éloignée des enfants et que je leur fais un cours sur le langage. Il est primordial qu’ils voient les expressions sur mon visage et qu’ils me voient articuler, notamment pour les exercices de phonologie, le son “f” et le son “t”. On a aussi reçu des masques transparents il n’y a pas très longtemps, ce qui aide beaucoup dans ce genre de situations.”
L’impact sur le quotidien des enfants
Les enfants font beaucoup moins de sorties avec l’école, déplore Carine : “Avant, on les emmenait au cinéma, au gymnase, ou à la médiathèque. Pour ceux qui viennent de milieux défavorisés, seule l’école leur permet ce type d’activité. Mais on s’adapte, par exemple en ce moment nous avons une potière qui vient leur faire des cours.”
De son côté, Emma, 9 ans et demi, regrette de ne pas pouvoir faire de soirée pyjama avec ses copines. Mais pour la plupart des enfants ce qui les gêne le plus c’est de porter le masque. Cependant, Vanessa, animatrice périscolaire remarque : “Ils sont formatés maintenant. Ils savent qu’ils sont punis s’ils ne le portent pas.”
Nada, mère de deux garçons en CP et CE1 à l’école Jean Jaurès dans le centre ville de Grenoble, partage une anecdote : “Lors d’un cours de citoyenneté, il fallait proposer son programme si on devenait président. L’idée que Malik* a suggéré était de ne plus porter le masque.”
« Ils ont totalement intégré le port du masque et il est même représenté dans leurs dessins. En revanche, certains s’en plaignent au moment des activités sportives ou pendant la récréation car ils les empêchent de respirer. Il faut noter que les enfants ne sont pas venus me consulter à cause du Covid. Leurs interrogations ou symptômes se sont aggravés ou sont devenus plus visibles, comme si la crise sanitaire avait été une loupe grossissante des problèmes déjà existants. Mais le Covid n’est pas un objet de discussion ou de préoccupation pour eux. » — Olivia Cahn, psychologue.
Les résultats préliminaires d’une enquête de Santé publique France indique que la santé mentale des adolescents (13–18 ans) est davantage impactée que celle des enfants (9–12 ans). Cependant, il est encore trop tôt pour mesurer les effets psychologiques de ces deux années de Covid sur ces derniers.
La psychologue Corinne Louin est optimiste : “Les enfants dépendent de leur environnement, ils ne grandissent pas tout seuls. Lorsque les adultes vont mal, ils vont mal aussi. C’est très perméable. Il faut que nous les adultes, nous ne dramatisions pas la situation. Mais je ne suis pas inquiète pour le futur, les enfants ont beaucoup de ressources.”
Nada, mère de deux enfants, s’inquiète elle des répercussions sur leur avenir. “Ce qui me choque, c’est qu’à l’heure actuelle, le Covid représente déjà la moitié de la vie de mes enfants, car ils ont 6 et 7 ans. Plus tard, ce ne sera peut-être qu’un souvenir. Ou alors cela aura un impact psychologique. On ne sait pas.”
Émilie, professeure des écoles, nous livre un épisode difficile traversé par sa fille : “Une de mes filles ne va pas très bien en ce moment. Elle a été isolée pendant une semaine car elle était positive au Covid. Du coup elle a loupé pas mal d’événements au collège et cela a créé des embrouilles avec ses copines. Elle a reçu des remarques très méchantes : “t’as qu’à arrêter de faire des caprices et te faire vacciner”, notamment. Sauf qu’elle ne veut pas se faire vacciner, et son père et moi ne sommes pas non plus pour la vaccination des enfants. C’est une très bonne élève donc il n’y a pas de soucis sur le plan scolaire, mais c’est une période complexe sur le plan amical pour ces collégiens.”
Selon le ministère des solidarités et de la santé, au 22 janvier, 216 000 enfants de 5 à 11 ans avaient reçu une dose, sur les 5,7 millions d’enfants éligibles🔗. De nombreux parents continuent de s’interroger sur l’utilité du vaccin.
Reportage réalisé par Lola Manecy
Illustrations Alice Quistrebert
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